lundi 20 mai 2013

Leopoldo Federico interviewé le 9 avril dernier

Dans le cadre de "Tengo una pregunta para vos" de Pepa Palazón le 9 avril 2013

Le but de cette émission est de préserver une partie de l'histoire vivante du tango racontée à travers ses protagonistes à la première personne.

Humilité et humour caractérisent cette rencontre dont j'ai traduit une partie en français.
A 86 ans, Leopoldo Federico a une carrière de 69 ans !



Leopoldo Federico a commencé à jouer du bandonéon à 12 ans, avec un professeur du voisinage, ami de son père. Il vivait rue Sarmiento, dans le quartier de Once, Balvanera, à Buenos Aires, dans le même lieu (type d'habitation nommée chorizo avec une grande partie de sa famille ainsi que 4 oncles et 2 tantes et d'autres personnes qui ne faisaient pas partie de la famille mais qu'il considérait comme telle. Son oncle Chilo, qui devient comme un second père, ingénieur, grand amateur de musique qui aurait dû être musicien, l'a influencé.

"Quand j'ai commencé à l'âge de 12 ans, je ne savais pas si je voulais être musicien ou faire autre chose. Mon oncle Chilo me parlait souvent de Pedro Laúrenz et de Pedro Maffia. J'ai commencé par le solfège et je n'ai eu un bandonéon que 3 ou 4 mois après. Je prenais un cours par semaine et quand je revenais mon oncle me demandait comment cela s'était passé et de lui jouer la leçon... Mais au début, il n'y a rien de plus moche que de jouer des gammes et des arpèges. Mais ça lui allait. Au début, il manquait toujours une note et je recommençais jusqu'à ce que ça rentre et il supportait cela. Le professeur a fini par me faire jouer un tango. Je l'ai appris 8 mesures par 8 mesures et je le lui jouais. Ensuite pour progresser et parce que mon professeur était limité, je suis allé à l'Académie Marcucci-Lipesker qui avait mis au point une méthode. Marcucci enseignait à Baracas et Lipesker près de chez moi. J'ai donc appris avec Lipesker. Tout a changé radicalement. Tout était plus compliqué. Il avait arrangé des mélodies méconnues. Et mon oncle était toujours derrière moi.
J'ai étudié 4 ans avec lui. J'ai cessé d'y aller à la fois pour des raisons économiques à la maison et du fait qu'il travaillait dans l'orchestre de Fresedo. Il dormais tard et quand j'arrivais, il se réveillait à peine et me demandait de jouer et de recommencer pendant qu'il s'habillait et se rasait. J'ai donc laissé tomber sans vraiment lui donner d'explication. Ensuite vers 16 ans, j'ai travaillé avec Paquito Requena (l'oncle d'Osvaldo Requena). Il m'a corrigé des défauts. Il s'enthousiasmait d'une telle façon. Il m'écoutait de loin et revenait pour me dire qu'il entendait quand j'ouvrais ou fermais le soufflet... Eduardo Rovira et Libertella ont également étudié avec lui. Il connaissait mes problèmes économiques et un jour il me dit qu'un orchestre cherche un bandonéoniste au Tabaris. Je n'en revenais pas, je me demandais si je pourrais y arriver ou pas, ma tête s'est embrumé à cette idée. Et en plus, c'était pour jouer comme premier bandonéon ! J'ai demandé à Requena ce qu'il fallait que je joue à l'audition. Je tremblais de partout... Qu'allait-il se passer ? Puis ensuite, on me dit d'aller la semaine suivante me faire faire le costume de l'orchestre chez le tailleur. Ouf ! Ma première paie a été de 200 pesos. A l'époque c'était le salaire mensuel d'un employé de banque qui était bien payé.  Je n'en revenais pas ! Ce même jour, Antonio Principe a passé l'audition et nous avons été collègue et ami, toujours à jouer à ma droite. On était si content d'avoir été pris ! 
Quand j'ai raconté à mon père combien j'allais gagner...
C'est un jour que je n'oublierai jamais de ma vie."
"C'est ainsi que ma carrière professionnelle a commencé à 17 ans et qu'elle ne s'est plus arrêtée. Je ne regrette qu'une seule chose : ne pas avoir pu continuer à étudier. Au cabaret, on joue jusqu'à 4h du matin, à 8h du matin j'aidais mon père charbonnier à garder le magasin pendant qu'il allait livrer le charbon. Mais j'ai dû arrêter parce que physiquement je ne pouvais plus tout mener de front. C'est lui qui m'a trouvé mon premier travail et j'ai dû lui faire faux-bond !
Dans tous les orchestres dans lesquels j'ai joué au début, je ne restais pas plus d'un an. "

"Les jeunes d'aujourd'hui jouent de façon formidables. Honnêtement, la génération actuelle dépasse de loin en quantité et en qualité ceux des années 40. Ils étudient non seulement l'instrument mais également l'harmonie... Tant de gens et si peu de travail...
Même dans les années 60 où il y avait moins de travail, j'ai vraiment eu de la chance de travailler avec le chanteur Julio Sosa. Et avec lui, il n'y avait pas la crise. Il avait une personnalité attirante.
A cette époque, j'étais directeur musical de l'orchestre stable de Radio Belgrano et on enregistrait pour la Radio. Le seul orchestre qui jouait quasiment toute l'année c'était celui d'Alfredo di Angelis avec le Glostora Tango Club qui est un cas à part.
La Télévision est arrivée plus tard avec la possibilité d'enregistrer et donc de travailler.
Avec Carlos García, grand pianiste et grand ami, nous avons enregistré avec tout le monde. Il était le directeur musical du label Orion. A l'époque, j'ai du finir par mentir tellement j'avais de travail. Je vivais enfermé dans les studios d'enregistrement, courant pour aller à la télévision et entre deux tournées...
Aujourd'hui, plus rien de cela n'existe. S'il y a des bals, c'est mal payé quand c'est payé. Si on envoie un remplaçant, on n'est pas sûr de retrouver sa place... On me raconte à l'AADI quantités d'histoires.
Si on n'autoproduit par son disque, aucun producteur ne le fait et quand c'est le cas, le disque n'est pas distribué. 
Je ne raconte pas cela pour mettre le moral à 0, non, je raconte ce que je sais. N'abandonnez surtout pas !
J'ai joué plusieurs fois avec l'orchestre-école d'où sont sortis notamment Horacio Romo ou Ramiro Gallo. C'est une émotion de jouer avec ces jeunes. Ils ont un intérêt, ils ont écouté.
On voit aller tous ces jeunes qui sont de plus en plus nombreux et avec de moins en moins de lieux pour jouer..."

" En jouant avec Julio Sosa, je n'avais pas peur mais j'avais des doutes. Je m'en serai voulu toute ma vie mais j'ai failli refuser de travailler avec lui. On a travaillé ensemble jusqu'à la fin de sa carrière. Et j'avais un poste stable comme directeur de l'orchestre de la Radio qui m'assurait une retraite.
Il fallait veiller à avoir le nom de l'orchestre sur l'affiche, sinon souvent le lieu était écrit plus gros que le nom de l'orchestre..."

" Je vois le bandonéon comme une partie de mon corps.
Quand je joue, il se passe quelque chose et je donne 100%, tout ce que je peux. Quand je joue, toute la douleur et les souffrances de mes os s'en vont, même si le lendemain, j'en souffre.
Horacio Cabarcos dit que je devrais m'attacher le bandonéon pour enlever la douleur et marcher droit (rires)."

"Je dis toujours que j'aurais du jouer du piano pour porter l'orchestre, c'est plus puissant que depuis le bandonéon. Mais je contamine avec mes gestes et mon regard quand je joue, comme si c'était la dernière fois".

" De mon époque, il ne reste de vivants que Colangelo, Mariano Mores et moi".

" Ce que j'ai vécu durant deux-trois ans, aux côtés de Salgán est inoubliable.  La première fois que j'ai joué avec lui dans une confiteria du Once, rue Castelli, Edmundo Rivero et Carlos Bermudez chantaient. J'allais presque tous les soirs l'écouter. Quand on m'a téléphoné, le 1er bandonéon Roberto di Filippo, le phénomène des phénomènes, un grand ami. On a enregistré pour la RCA Victor La Clavada et Recuerdo. Je m'étais appris tous les solos au cas où il arriverait quelque chose. Et effectivement Di Filippo a quitté Salgán pour jouer du hautbois et comment dans l'orchestre du Colón. J'ai aussi eu la chance d'enregistrer avec le Quinteto Real au Japon.
Salgán avait tellement de créativité qu'il écrivait des variantes qu'on essayait toutes et après on ne savait pas laquelle laisser car elles étaient toutes plus belles les unes que les autres."

" J'ai joué de tous les styles. Mais je dois reconnaître que Piazzolla a une place à part. Dans son orchestre de 1946 qu'il a créé après avoir quitté Fiorentino, il avait une façon de jouer si particulière. Et quand il a formé l'orchestre de cordes, je me disais, il va jouer tout seul avec les cordes  ? Et comment !
J'ai adoré jouer avec Gobbi, Maderna... Mais Piazzolla c'est celui qui me plaît le plus."

" Une anecdote de voyage ? Je devrais avoir Cabarcos à mes côtés, il se souvient de tout ! Je me souviens d'une anecdote comique à mes débuts dans l'orchestre de Piazzolla dans un bal à Cruz Alta vers Córdoba. On y avait été en avion et quelqu'un avait oublié la valise avec toutes les partitions à l'intérieur. Tous les autres jouaients par coeur, ils avaient une centaine de thèmes. Je ne sais pas pourquoi ils prenaient une valise ! Mais moi, je ne jouais rien par coeur, j'avais réellement besoin des partitions. Je connaissais les variations pour les avoir étudiées mais pas l'arrangement. Et comme Piazzolla se foutait de moi en disant que je lui portais malheur parce que j'avais joué avec Di Sarli (superstition du milieu tanguero). Avec la peu j'avais oublié le peu que je savais et quand on monte sur scène, c'est pire... Et il était là à me dire de jouer quelque chose..."

" Je n'ai jamais joué dans l'orchestre de Troilo ni de Pugliese mais avec tous les autres !".

Un quintet-école à Bogota, en Colombie porte le nom de Leopoldo Federico, créée par Giovanni Parra.

" Je ne sais pas si le bandonéon va me laisser ou si je vais laisser le bandonéon".